18/10/2016 — 15/01/2017

Résistances numériques

Outils et réseaux alternatifs

Avant même que le lanceur d’alerte Edward Snowden ne révèle l’ampleur de la surveillance électronique opérée sur les citoyens par la NSA, l’agence de renseignement américaine, les défenseurs des libertés s’inquiétaient de la centralisation d’Internet et de sa concentration aux mains de quelques géants (américains pour l’essentiel). La régulation croissante des gouvernements impacte également l’usage d’Internet comme espace de protestation en criminalisant les actes de désobéissance virtuelle (notamment aux États-Unis et en Grande Bretagne). De plus la migration des internautes sur les réseaux sociaux obligent les activistes à conformer leurs messages aux règles et normes de ces plates-formes privées. Si les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter permettent de toucher une audience plus vaste, ils entraînent également une certaine « domestication » de l’activisme online.

En réaction à la dépossession de l’utilisateur et de la perte de contrôle sur ses données, plusieurs projets initiés par des artistes et des hacktivistes invitent à s’extraire du cloud et son modèle centralisé de stockage. Ils réactivent l’idée originelle d’« un réseau de pairs égaux », en développant leurs propres outils de contournement et mini-réseaux locaux, garantissant la liberté d’expression, premiers maillons d’une Toile bis qui reste à tisser. Les outils contestataires créés par ces artistes agissent comme « des manifestes, écrits sous la forme de code », selon la description du collectif berlinois Telekommunisten.

De TXTmob à Twitter

Certains de ces outils ont très directement influencé nos moyens de communication actuels : c’est le cas par exemple de TXTmob, l’un des ancêtres du service de microblogging Twitter. TXTmob a été créé en 2004 par le collectif d’artistes et hackers, The Institute for Applied Autonomy, constructeur de robots contestataires comme le GraffitiWriter, qui permet de taguer des slogans au sol. TXTmob, service gratuit, permettait de créer des groupes et de partager ses SMS avec tous les inscrits. Les militants l’ont utilisé lors des Conventions nationales républicaines et démocrates en 2004 pour coordonner les actions en différents endroits de la ville. Plus de 5000 personnes l’utilisèrent pour partager les informations en temps réel sur les lieux où converger, les barrages de la police etc… L’un de ses créateurs, Tad Hirsch sera cité à comparaître par le NYPD – New York City Police Department, afin qu’il livre tous les messages envoyés via TXTmob durant la convention, ainsi que les informations sur ses utilisateurs. Mais Hirsch a contre-attaqué avec succès, avançant que ces messages étaient protégés et relevaient du discours privé.

Lorsqu’en 2010-2011, les manifestants ont commencé à utiliser Twitter partout dans le monde comme outil de protestation, Evan Henshaw-Plath, l’un des membres de l’équipe fondatrice de Twitter, n’était pas surpris. Il y voyait une sorte de retour aux sources de Twitter, qui avait pris explicitement pour modèle cet outil contestataire qu’est TXTmob.


Présentation de TXTmob

Réseaux locaux


Christoph Wachter et Mathias Jud

Christoph Wachter et Mathias Jud, deux artistes suisses, ont développé en 2011 qaul.net, un logiciel open source qui interconnecte les ordinateurs, smartphones et autres supports mobiles via le wi-fi pour former un réseau spontané, de proche en proche, permettant à ses usagers d’échanger des messages textuels, des fichiers ou des appels vocaux, sans passer par une connexion Internet. Le projet s’appuie sur les réseaux mesh (ou maillés) qui connectent directement les utilisateurs les uns aux autres, sans passer par un tiers. Pour un fonctionnement optimal, il faut une relative densité de participants. Les deux artistes ont imaginé cet outil suite au black-out égyptien, lors du printemps arabe en 2011, quand les autorités ont coupé l’accès à Internet durant cinq jours, ce qui fut le réel déclencheur des manifestations de la place Tahrir, et à d’autres en Birmanie, au Tibet, ou en Libye. Le projet qaul.net met en scène d’un même mouvement, une possible ré-appropriation par les citoyens des réseaux de communication et une contestation de leur fonctionnement centralisé. Qaul est un terme arabe qui signifie opinion, discours, ou mot, il se prononce comme l’anglais call (appeler). Mathias Jud et Christopher Wachter ont depuis perfectionné leur outil, collaborant avec des activistes chinois, égyptiens, syriens et turcs.

Dès 2011, des artistes et des hacktivistes ont développé leurs propres mini-réseaux locaux permettant de s’échanger des messages et des fichiers de manière libre et anonyme, conçus pour fonctionner sans être connectés à Internet. Parmi eux, Occupy.here développé par Dan Phiffer comme une expérimentation durant le campement de Zucotti Park à New-York, Subnodess de Sarah Grant ou Commotion, activés durant le mouvement Occupy.

Stratégies de contournement

En 1989, lorsque la nouvelle du massacre de Tiananmen atteignit l’université du Michigan, les étudiants chinois achetèrent aussitôt un fax et inondèrent de revues de presse occidentales et de photos les universités, hôpitaux et entreprises chinois, pour fournir à la population une alternative aux communiqués officiels du gouvernement. Ces stratégies de contournement se sont également multipliées lors du Printemps arabe où les dissidents se sont trouvés confrontés aux blocages d’Internet et à la censure des régimes en place. Des hackers et des activistes ont créé des réseaux alternatifs qui rapportaient les événements de l’extérieur. En Tunisie, les Anonymous ont crée des kits pour les cyberactivistes et les manifestants afin de préserver leur anonymat et d’échapper à la surveillance du gouvernement.

Telecomix, « désorganisation » de hackers, mène des opérations de soutien technique à distance : « Tout se passait derrière nos ordinateurs, il n’était pas nécessaire de se rendre sur place. Notre mission était d’apporter un outil, pas de s’approprier un combat. On peut dire qu’on aidait à construire les barricades sans pour autant monter dessus », explique l’un de leur membre sur Altermondes. Ils exfiltrent des vidéos quand leur publication est bloquée sur Facebook, mettent en place des sites miroirs et des proxies pour publier les vidéos qui n’étaient plus accessibles, voire réactivent le modem et le fax quand le gouvernement égyptien coupe l’Internet le 28 janvier 2011.


Le site de Telecomix

Les voix des Égyptiens révoltés ont continué à se propager à travers le web également via des relais humains. John Scott Railton, étudiant de UCLA, a appelé ses amis égyptiens par téléphone, et tweeté ce qu’il entend sur le compte #Jan25voices, jour où les révoltes ont commencé. Avec l’aide d’amis, il a maintenu un flot constant de nouvelles venues du terrain, ouvrant l’une des rares fenêtres sur ce qui se passait alors dans de nombreux endroits au Caire pendant la fermeture d’Internet. Puis il a posté des enregistrements audios de ces coups de fils qui ont été écoutés plus de quatre millions de fois en l’espace d’une semaine.